Rober Sylverberg in « Voué aux ténèbres »
Départ pour Pointe-à-la-garde (ville qui n’a d’autre intérêt, pour le voyageur, que le château Bahia) le lendemain, depuis Percé. Au petit dèj’, à discuter, une Bruxelloise va vers là où je vais mais s’arrête avant, à Bonaventure (la ville, pas l’île).
Je lui propose donc de l’y emmener. Elle aussi fait un PVT, et épatant comme d’une part les gens peuvent vous remarquer sans que vous-même les remarquiez (elle m’avait vu à Sea Shack) et d’autre part vous pouvez raconter des choses vraiment profondes et intimes à des gens que vous ne connaissez absolument pas et n’avez quasiment aucune chance de revoir.
Je laisse la miss à sa destination, et pars vers Pointe-à-la-garde. En chemin je me fais un petit site classé par l’UNESCO: le parc naturel de Miguasha, qui a d’exceptionnel les fossiles qu’on y trouve. Deux heures de fascinante visite animée par une captivante naturaliste (tous les naturalistes l’étaient, de toute façon), et je repars vers Pointe-à-la-garde, 15 km plus loin.
Alors, le château Bahia est un château en bois style renaissance faite par un mec. Des ses propres mains, avec des potes et sa famille. Il est un peu pommé au milieu des bois, et sans être extraordinaire, il vaut le coup d’œil.
J’y retrouve comme convenu Elsa et Kelly, et leurs 3 compagnons de route.
Après bouffage, on entreprend de se mettre une mine en compagnie de deux jeunes québécois. Au menu: feu de bois sur la plage.
Le problème est que le bout de plage où l’on doit faire ledit feu est … inondé par la marée haute.
Pas démonté, avec Kelly nous partons à la recherche d’un accès vers la mer. Après avoir visité quelques chemins propriétaire, nous finissons par tomber, avec l’aide d’un québécois local, sur un accès publique bien connu des jeunes du coin.
De papotage en papotage, on se couche un peu avant 4h et il est question qu’Elsa et Kelly abandonnent ceux avec qui elles voyage pour me suivre.
Le lendemain matin la décision est prise: elles me suivent. Transbahutement de bagages et décollage pour … Montréal City. En route on recroise le parc du Bic. Elles veulent y faire une halte une nuit.
Rapide calcul: je ne suis pas si pressé, et il n’y a QUE 500km entre le Bic et Montréal, facilement faisable en une journée.
Adjugé vendu: je reste une nuit au Bic. Grimpette easy du Mont Champlain (et c’est la première fois depuis que je connais les filles que nous faisons une activité ensemble; autre que se mettre minable, s’entend) puis … chasse aux putain de moustiques de merde qui tentent de nous perturber pendant notre repas de pâtes aux pâtes al dente.
Débat du soir: moi, le lendemain, je vais à Montréal. Elles n’ont pas cet impératif mais ça leur simplifierait la vie de descendre avec moi. Parallèlement, il n’y a pas grande chose à faire entre ici et Montréal, du moins de ce côté du St Laurent. On se couche sans avoir tranché (mais avec deux bières dans le cornet pour moi).
Le lendemain matin, débat toujours pas tranché, mais elles n’ont plus rien à faire au Bic, donc elles embarquent et elles décideront en route quoi faire.
Deux heures de route plus tard, constat: à part une érablière (endroit où l’on fait le sirop d’érable) y a rien à visiter jusqu’à Montréal. Donc, bien que ça les fasse chier de se rendre à la métropole, elles vont y aller. Moi, perso, ça me fait plaisir de les avoir pour le voyage! Pas que j’avais peur de me faire chier, mais je les aime bien et j’ai pas envie de me séparer d’elles.
Arrivé dans la banlieue de Montréal, une grosse bestiole pas sympa pointe le bout de son museau: le cafard. Trafic, ville, monde, retour à la case départ, départ tout court… J’ai beau me répéter qu’il n’y a pas de destination mais qu’un chemin, ça me soûle: pas envie de finir l’aventure.
Je repense à Sea Shack, au château Bahia, aux campings que j’ai fait, aux choses que j’ai vu, au pays où je suis, à tout ce qu’il s’est passé pendant ces trois semaines qui sont passées comme un éclair, à la gentillesse des gens, aux voyageurs que j’ai rencontré, à mes deux PVTistes co-voiturières qui vont continuer leur périple, à la difficulté de raconter ce que j’ai vécu à ceux qui n’ont pas partagé mon histoire, et à ce que ce voyage a changé en moi…
My Buddha, ce que ça a changé en moi… Je suis senti entier comme rarement je me suis senti entier. Pourquoi? Je me suis senti à ma place bien que loin de « chez moi » et toujours en mouvement. Pourquoi? Pour une fois je n’étais pas à moitié à ce que je faisais, je n’en étais pas détaché. Pourquoi?
Je sens que je vais avoir la tête dans les nuages un certain temps et que des décisions radicales vont s’imposer…
Je dépose les deux filles pas loin de chez elles, avec la promesse qu’on va aller se boire un verre le soir-même.
Je rentre chez Seb et Crystelle. Puis on rejoint Elsa et Kelly pour boire un verre.
La situation est étrange: Montréal, synonyme d’arrivée/départ, donc de fin; Seb et Crystelle, synonymes de ma vie Française, et Elsa et Kelly, synonymes de mon voyage et de ma liberté. Tout ça se bouscule dans ma tête. Je souris bêtement en regardant les deux filles.
Fin du voyage… Tout ceci n’était-il qu’un rêve? « Non », me répond la présence d’Elsa et Kelly.
J’ai vraiment du mal à y croire…
On va boire ce verre, et je passe mon temps à … je ne sais pas quoi. Trier mes souvenirs dans ma mémoire? Regarder tout ces gens étrangers? Faire le lien entre ce que j’ai vécu et ce qui m’attend? Mais sourire, indéniablement.
Je commence à me dédoubler, à nouveau.
A la sortie du bar, je demande à Kelly si ce qu’on a vécu était bien réel. Elle me répond que oui, dans un grand sourire qui me rappel ces trois semaines et ce qui a changé en moi…
Là, ce soir, chez Seb et Crystelle, je me demande vraiment si tout ceci n’était pas un rêve…
Demain, rangement de ma fidèle Kia Spectra, foyer sur quatres roues de mes trois dernières semaines, et Tetris: va falloir que tout tienne dans mon sac à dos…
Décollage pour Paris à 17h, heure locale.