Ici le temps est plus calme, plus accueillant, moins agressivement vide que dans le centre. Les pensées ont le temps d’y prendre racine. Il a une structure assez douce, qui est celle de la journée et du rythme du soleil, puis des saisons. Dans cette structure en fin de compte assez peu de choses, mais pas rien. Il est fait de bois, et de montagnes bien sûr. Il est fait de deux personnes. Et demi. Une reine (au rythme lent) et son roi. Et leur enfant, bien calme.
Aucune obligation d’aucune sorte. Personne à éviter, personne à attirer, presque rien à penser.
Les pensées, timidement, prennent leurs aises, tâtent les limites du temps et s’apercevant qu’il ne les empêche pas de s’épanouir, étendent leurs ramifications.
Ici, là, au fin fond du centre, le temps est infini.
Sans doutes parce qu’il n’est peuplé de rien, que le lieu est isolé de beaucoup de choses, que je ne peux aller nul part (je suis à pied) et que je ne vais croiser personne (ou presque).
Mes besoins sont pourvus, et à heures fixes ; je n’ai pas grand chose à prévoir.
Une fois mangé et dormi je m’aperçois qu’il reste encore beaucoup, beaucoup, d’heures vides car je n’ai rien de prévu. Et quand elles défilent un peu vite, ces heures, juste un tout petit peu trop vite, je regarde dans le futur et je m’aperçois qu’il y a encore plusieurs jours vides ; autant dire une infinité.
J’ai juste un marais à éviter, tout au long de la journée. Mais peut-être fait-il que ce temps est infini. Peut-être est-ce lui qui absorbe le temps. Peut-être est-ce sa présence qui repousse l’écoulement du temps.
Prendre congé de soi, se foutre la paix, tout déposer dans un coin et prendre un tournevis pour prendre le temps de réparer, d’observer, de comprendre, de remettre les choses en place. A l’abri, isolé, sans être emmerdé.
Ni par soi-même ni par les autres.
Comment, donc, dire (hurler à faire trembler trame de l’univers) stop. Stop au temps, aux sensations, à tout.
Et comment dire aux autres, à tous, qu’ils ont tort et que je sais bien, moi, ce que je ressens puisque c’est moi qui le ressens. Et que si j’ai mal là, qu’il me manque ça et que je vois les choses ainsi c’est que j’ai mal là, il me manque ça et je vois les choses ainsi. Point. Non ?
Comment gérer tout ça sans craquer ? Comment faites-vous pour ne pas craquer face à l’absurdité du monde et tous vos défauts ? et face à vos douleurs ?
Comment faites-vous pour gérer tout ça sans pleurer ?
Comment faites-vous pour pleurer ?
Tracklist – « Une table à trois », de Zen Men. Parce que … est-ce que c’est les autres qui ne comprennent rien ? ou est-ce que c’est moi qui ne comprend rien ?
Je rentre dans la très très familière période du « tout ceci a-t’il réellement existé ».
Si personne n’en parle, les souvenirs à deux ont-ils existé ? Tout ce que l’on ressent a-t’il existé s’il n’y a d’autres témoins que soi ? Aussi intenses qu’ils furent, ces moments ont-ils existé s’ils n’ont aucun écho dans le présent ?
Peut-on, au final, avoir vécu aussi intensément, avoir autant désiré (être avec) quelqu’un, qu’il se passe aussi peu de choses, et que le peu de choses soit autant passé sous silence ?
Je rentre dans Le Champs De Ruine de cette histoire : désert, silencieux, étouffant, aucune explication sur ce qu’il s’est passé, des souvenirs muets partout, aucun chemin, aucune route. Des souvenirs éparses dont la réalité est questionnable.
Et au centre de tout ça votre pauvre crétin de serviteur qui étouffe, qui aimerait s’arracher le cœur, qui aimerait que le temps efface tout ça très très vite, mais contraint de vivre avec ce poids en plus, ces souvenirs en plus, ces ruines en plus dont il est impossible de se défaire et qui colorent irrémédiablement tout en gris.
Écrire que je préférais ne pas écrire est-ce déjà écrire ? Écrire que je ne sais pas quoi écrire, que je ne sais pas si je dois écrire, écrire que je ne sais pas quoi dire, ni comment le dire, ni si je dois le dire, ni si je dois dire que je ne sais pas si je dois le dire. C’est écrire, tout ça, non ?
Tout ça c’est écrire, oui, et ça ne changera rien à ce qui va me dévaster. Et que je vais une fois de plus devoir traverser seul.
Ça brûle mais ça tient chaud. Ça brûle mais ça donne de l’énergie, ça me monte à la tête, ça me rend fou.
Comment trouver les mots pour décrire ça ? Il faudrait tous les empiler, les mélanger, les lire ensemble, les comprendre ensemble. Les écrire les uns sur les autres, mélanger les lettres.
Et ça ne rendrait de toutes façons pas ce que je ressens.
Ça me rend fou. Ça m’étouffe, ça me donne envie de pleurer tellement je me sens impuissant à tout contenir et tellement ça me brûle. Tellement tout est ridicule à côté. Tellement c’est faramineux.
Et plus j’essaie de le décrire plus … ça grandit, devient impossible à décrire, et me rend ridicule à côté. Et plus je sens qu’à un moment je vais réellement pleurer parce que je ne pourrai plus contenir ce feu, et ça va me faire mal quand ça va sortir.
Comment briser la prison de verre ? Celle dont tu ne connais pas la distance ni l’étendue ni la solidité. Tu sais qu’elle te donne l’illusion que tes actes portent, que tout est possible, que les gens te voient, que tout est à portée de main.
Celle qui te rend dingue parce tu vois tout mais que rien n’est atteignable : tout est à une distance inimaginable. Tout est à une distance émotionnelle inimaginable.
C’est le chaos à l’intérieur, et absolument rien n’en sort dans une direction quelconque. C’est un chaos insupportable, ça me rend dingue. Ça ne touche rien ni personne, ça ne fait absolument rien bouger, ça ne fait rien avancer, ça n’arrête même pas le temps !
Furieux bien sûr furieux ! Couché furieux, levé furieux, journée furieux, soirée furieux. Voyons.
A constater que tu reste le même, voyons, ça sert à rien de t’énerver. Tu es où tu es et tu y resteras, tu peux être aussi furieux que tu le veux ça ne changera pas. Que voudrais-tu ? Le monde tourne et s’en cogne fondamentalement de toi.
Oh tu peux t’énerver, t’exciter, rien ne changera. Rien. Ils resteront à leurs place, elle restera à sa place. Tu resteras à la tienne, celle à laquelle tous te mettent, tu n’y échappera pas.
Tu peux essayer, essayer d’échapper à la réalité, c’est mort : le temps coule, la journée avance, les choses se meuvent, le soleil se couche, la soirée avance, tu vas aller te coucher et le sommeil va en effacer une bonne partie et demain… rien n’aura bougé, ça aura glissé entre tes doigts sans que tu puisse y faire quoi que ce soit.
Oh tu peux boire pour abréger cette journée, t’évader de toi-même quelques heures. Tu souffriras moins, quelques heures. Tu n’auras rien volé du tout, rien changé du tout.
Voyons mec, pourquoi voudrais-tu que cela change ? Oh tu peux hurler, pleurer, les pièces vont se déplacer, un peu, et revenir à leurs places assez vite. Quelle que soit l’énergie que tu y mettras.
Tu peux bien être furieux, tout le monde s’en fout, et tu le sais ! La réalité s’en fout, les gens s’en foutent, le temps s’en fout, ton métabolisme s’en fout. Hurle ce que tu veux, furie ce que tu veux, ça n’aura aucun impact et tout le monde s’en cogne.
Ce que ça va t’apporter c’est te mettre hors de toi et tu vas voir l’étendue de ton désert, l’immensité de ton impuissance, l’infini cycle de tes errements, l’épaisseur du silence qui te ceint, le néant de ton influence.
Tu te fais du mal, ferme ta gueule, bois, monte le son, et vas te coucher.
T’en as rien à foutre, de moi, n’est-ce pas ? Comme tous les autres.
Pourquoi je t’écris, alors (que tu ne réponds pas) ?
T’en as rien à foutre, car comme tous les autres tu pense que je vais très bien me démerder seul car je l’ai toujours fait. Mais au fond vous n’en avez rien à foutre, n’est-ce pas ? Vous êtes tous loin, vous me regardez de loin, vous me parlez de loin mais vous ne venez jamais me voir. Jamais. Et si c’est pas moi qui appel personne ne le fait.
Encore moins toi.
T’en as rien à foutre, avoue.
Avouez que je vous fais marrer mais vous n’en avez rien à carrer de moi. Là ou pas là votre vie continuerait, vous n’en auriez toujours autant rien. à. foutre.
Avouez que ça vous arrange que ça soit moi qui aille toujours vers vous, puisque vous ne venez jamais vers moi.
Pas un qui me prenne entre quatre yeux pour me demander comment ça va, et m’écoute. Puisque c’est toujours moi qui le fais.
T’en as rien à foutre, vous n’en avez rien à foutre.