Voyage dans temps – 3ème vie et temps éternel

Et donc voir le jour suivant comme vide de contraintes, comme un espace vide à remplir à loisir, comme un espace où le temps va pouvoir se déployer et des ramifications s’épanouir.

Je ne grimace plus quand j’ai une idée en tête et que le jour suivant va arriver. Je ne grimace plus quand le soir arrive et que des idées ou des envies m’arrivent.

Je ne grimace plus quand je fais ce que j’aime : je sais que je vais avoir le temps de le faire, je vois les heures se déployer devant moi, et rien pour les arrêter.

Ablation

— Alors, comment vous sentez-vous, au bout d’une semaine ?
— Mieux. Moins « éparpillé ». Je peux marcher dans la rue sans avoir la sensation d’être écartelé. Je peux regarder les gens sans être happé. Je peux aller travailler et rester concentré. Je peux aller faire du sport et juste faire du sport. Je peux avoir des conversations normales avec les femmes comme avec les hommes. Je peux regarder dans les yeux sans me perdre, je peux écouter et juste être à l’écoute.
— Vous ne sentez pas de manque ?
— Non. Ou peut-être le manque de « couleurs » dans ce qui m’entoure.
— Vous avez l’air moins fatigué.
— A qui le dites-vous ! Tout file droit, dans ma tête, maintenant. Je ne deviens pas dingue sans arrêt, je n’ai plus cette incessante sensation de déchirement. Et je prends les gens pour des gens !
— Comment ça ?
— Je tisse de vraies relations avec eux, rendez-vous compte ! Ils m’intéressent pour leur côté humain, point !
— Je vois. Reparlez-moi de ce manque de couleurs.
— Oui… disons que maintenant qu’il n’y a plus de hauts et de bas ça me semble fade, plat. Plus personne ne sort du lot. Entendons-nous, Docteur : ça me va très bien comme ça, c’est bien plus reposant. Mais avec cette opération c’est comme si … oui, comme s’il manquait des couleurs au monde qui m’entoure. Vous savez les couleurs font que l’on distingue une chose d’une autre, que notre regard est attiré ou pas, que l’on change de route. Elles portent un message, même, ces couleurs. Plus maintenant. J’ai l’impression que ce qui m’entoure est devenu silencieux ; ça file droit, oui, et il n’y a plus rien pour infléchir la trajectoire, ni plus rien pour… hé bien… me guider quelque part.
— Vous n’avez plus de boussole, en quelque sorte ? C’est intéressant.
— C’est ça. Je me lève le matin, je fais ce que j’ai à faire parce que je dois le faire. Je ne dévie pas.
— Cette opération est encore expérimentale, comme vous le savez. Vous êtes un des premiers à en bénéficier. Nous avons encore peu de recule sur les conséquences, mais vu la souffrance dans laquelle vous étiez et l’échec des autres traitements, c’était une voie envisageable. Je vais discuter avec mes autres collègues pour savoir si leurs patients ont eu les mêmes effets.
— Bien Docteur. Mais…
— Oui ?
— L’opération est définitive ?
— Comme je vous l’ai dit, c’est expérimental et nous avons trop peu de recule pour que je puisse être catégorique. Vu comment est constitué l’être humain, il n’est néanmoins pas impossible que cela revienne ; ce que nous avons enlevé est en quelque sorte constitutif de l’être humain mais selon ce que nous savons ce n’est pas vital. Si cela revient j’ignore si cela sera sous la même forme ou sous une autre, avec la même intensité ou diminué.
— … je me demande si je ne me préfère pas avec …
— Nous verrons comment cela évolue. Je repasserai demain pour prendre de vos nouvelles. Bonne journée !

— Alors ? que pensez-vous de ce qu’a dit notre patient ?
— C’est passionnant ! Je ne pensais pas qu’une telle opération était possible ! C’est fascinant de voir ses conséquences et quels pans de sa vie cela affecte !
— Oui, j’ai bien peur que le désir affecte une grande part de la vie, bien plus que ce que nous pensons. Cela le faisait énormément souffrir, comme vous vous en souvenez surement lors des entretiens. Son amputation était une opération risquée et difficile. Nous avons bien fait attention à enlever seulement cette partie et rien d’autres. Mais je crois bien que le désir irrigue bien plus de partie de notre vie que ce que nous pensons, et que son ablation ne soit pas sans risques.

Voyage dans le temps – Le pays des abeilles

Ici le temps est plus calme, plus accueillant, moins agressivement vide que dans le centre. Les pensées ont le temps d’y prendre racine. Il a une structure assez douce, qui est celle de la journée et du rythme du soleil, puis des saisons. Dans cette structure en fin de compte assez peu de choses, mais pas rien. Il est fait de bois, et de montagnes bien sûr. Il est fait de deux personnes. Et demi. Une reine (au rythme lent) et son roi. Et leur enfant, bien calme.

Aucune obligation d’aucune sorte. Personne à éviter, personne à attirer, presque rien à penser.

Les pensées, timidement, prennent leurs aises, tâtent les limites du temps et s’apercevant qu’il ne les empêche pas de s’épanouir, étendent leurs ramifications.

Voyage dans le temps – temps presque infini

Ici, là, au fin fond du centre, le temps est infini.

Sans doutes parce qu’il n’est peuplé de rien, que le lieu est isolé de beaucoup de choses, que je ne peux aller nul part (je suis à pied) et que je ne vais croiser personne (ou presque).

Mes besoins sont pourvus, et à heures fixes ; je n’ai pas grand chose à prévoir.

Une fois mangé et dormi je m’aperçois qu’il reste encore beaucoup, beaucoup, d’heures vides car je n’ai rien de prévu. Et quand elles défilent un peu vite, ces heures, juste un tout petit peu trop vite, je regarde dans le futur et je m’aperçois qu’il y a encore plusieurs jours vides ; autant dire une infinité.

J’ai juste un marais à éviter, tout au long de la journée. Mais peut-être fait-il que ce temps est infini. Peut-être est-ce lui qui absorbe le temps. Peut-être est-ce sa présence qui repousse l’écoulement du temps.

Voyage dans le temps – explorations

Parfois je m’arrête et je pars explorer ce dans quoi je vis.

C’est infini, pas vraiment fractal, mais d’une infinie richesse. D’une infinie densité de beauté : plus je fouille ce que je trouve beau, plus je trouve de raisons que cela soit beau. Et cela se ramifie et part fouiller dans un million de directions pour autant de relations.

Les secondes qui passent transforment lentement cette beauté et en apporte d’autres, avec encore un million de relations.

Les sensations peuvent-elles être infinies ? Peut-on, puis-je, passer une vie, ma vie, à explorer ces sensarelations ? A les regarder naître et se mouvoir ?

Voyage dans le temps – topologie

Comme ici rien n’est vraiment loin : se lever, prendre le vélo, y aller : 10 min environ, 20 max. Entre ici et là : peu de choses pour perturber, juste de beaux paysages, de chouettes odeurs, du vent, de belles maisons. L’assurance en tête qu’au delà d’où je vais il n’y a pas grand chose (car c’est une île).

Alors le temps prend la même forme : entre maintenant et plus tard, peu de choses pour perturber. Et au delà de « plus tard » ? Pas grand chose (car rien n’est prévu).

Et l’espace est de la même composition : peu dense ; peu dense en gens, peu dense en sons, peu dense en bâtiments.

Ça donne un sentiment de clarté, de transparence.

Voyage dans le temps – seconde vie

Retour dans cette île qui m’est familière. Cette île fait-elle partie de moi ? (qui suis-je, et si je suis, où ?)

Ma magie de l’île existe-t’elle encore ? c’est que je grandi, et c’est aussi qu’elle change…

Heureusement oui : la topologie est toujours la même, les odeurs sont les mêmes et même si j’ai changé et que mon état d’esprit n’est pas le même, l’île est là.

Je suis reconnu au lieu où je squat. Damn. C’était pas prévu, mais ok. Retour chez … moi, alors ? Je pose ma maison, et je me sens un peu chez moi, oui. Mais pas géographiquement parlant. Chez n’est pas le bon terme. En ? ?

Quelque chose comme ça, oui : je me sens moi, je sens que moi est dans l’air autour de ce corps, je sens que je prends l’espace qui l’entoure. Je perçois la géographie de l’île, et elle a les limites de ce que je peux définir comme moi.

Le temps n’y est pas encore, mais c’est une question de temps…

Je vais chercher ce moyen de transport qui fait mal au cul et ça y est, je sens que je peux toucher les limites de l’île, je sens que je peux me balader en moi. Alors je me balade, et le temps ralenti.

Et ce n’est pas tant qu’il ralentisse qu’il prenne … de la consistance, une sorte d’espace. Il prend la forme du lieu, ce temps : grand, calme, plutôt plat, et transparent. Je crois que la géographie du lieu imprime au temps sa forme : le temps est parsemé de petits rendez-vous comme l’île est parsemée de village, le temps est libre comme l’île est plate, le temps est calme comme l’île est calme.

Descente au port (des fées) le soir, retour par le chemin. J’ai l’impression d’être dans une autre vie, dans ma seconde vie.

Voyage dans le temps – silences pour les musiques à venir

J’ai parfois besoin de silence. De BEAUCOUP de silence. Pas de paroles, pas d’actes, pas de sensations. Repos des antennes. Une sorte de silence silencieux asensoriel. Pas de décisions, pas de choix, pas de réflexions, pas d’écoutes et pas de paroles. Pas de sentiments. Pas de contacts. Pas d’écoulement du temps. Juste le bruit du soleil qui se lève, celui du vert de la campagne et celui des pensées qui se calment…

Voyages dans le temps – tout brûler

Parfois j’aimerais tout brûler, TOUT brûler. Faire un gros reset comme le fait la reine noire.

Passer un coup de lance-flamme afin de cramer âmes et fantômes. Fantômes surtout. Et n’emporter que le peux que je sais n’être que moi. Et sans un mot me mettre à rebâtir… Plus loin, mieux peut-être.

Mais surtout désherber, faire le ménage, éclaircir, désobstruer, désencombrer les placards. Tout brûler et regarder ce qu’il reste. Et resemer ce qui vaut le coup de l’être.

Et oublier le reste.