Et tous se tinrent à bonne distance de lui. Peu de gens osérent l’approcher, et ceux qui le firent ne restèrent pas bien longtemps. Pour quelles raisons connues de eux seuls ? Pour des raisons connues de eux seuls.
L’on pourrait arguer que son karma était ainsi qu’il fît en sorte qu’il soit seul, ou du moins que les gens se tinssent à distance de lui. L’on pourrait aussi arguer que les gens furent ainsi, ou que lui-même fut ainsi, ou qu’une seule personne, qui ne s’est pas encore manifestée, pût s’approcher de lui suffisamment longtemps.
Mais à la vérité personne, encore moins lui, ne sût pourquoi personne ne franchît cet espace et y restât.
Mes doigts s’agrippent à tout ce qu’ils peuvent, même ce qui est glissant, même ce qui brûle, même si cela est inutile.
Le monde physique est calme mais c’est le chaos en moi : tout tourbillonne en une furieuse envie de destruction.
Le
Temps
Passe
Je voudrais qu’il cesse afin de prendre le temps de tout détruire.
Mais au lieu de cela il passe.
Et je hurle.
Car il passe et rien ne change, et je ne peux rien changer car tout ne dépend pas de moi. Hein ?
Alors il passe, je le regarde passer et ne rien changer. Rien.
Je m’agrippe désespérément au vide. Mes doigts cherchent et ne trouvent rien. Des morceaux de moi volent et cherchent à atteindre mais ne trouvent rien, bien sûr, ne trouvent rien !
Ils volent, collent, salissent, dérangent, me disloquent.
Mon lit n’est plus un refuge, la nuit n’est plus un refuge. Je vais dormir trop peu de temps et me réveiller comme par magie dans la même merde (je voudrais ne plus me réveiller). Je m’endors avec la même merde dans la tête que celle qu’il y aura demain matin, la nuit ne lavera rien, le temps s’écoulera et modifiera encore et toujours rien. L’alcool lave. Quoi d’autre lave ?
Mon appart n’est plus en refuge. J’y suis seul, atteignable. Trop d’obligations l’habitent. J’y suis trop à l’étroit. Il y a trop de moi, trop de merdes, pas assez d’espaces, pas assez de possibilités. Et de toutes façons personne ne vient.
Mon emploi du temps n’est plus un refuge. Il me pète les couilles. C’est de la glu grise et froide, j’y suis prisonnier, ou imagine l’être. Les mêmes gens sont aux mêmes endroist aux mêmes heures à faire les même choses. Ça me donne envie de hurler pour que tout cela se réveille.
Comment briser la prison de verre ? Celle dont tu ne connais pas la distance ni l’étendue ni la solidité. Tu sais qu’elle te donne l’illusion que tes actes portent, que tout est possible, que les gens te voient, que tout est à portée de main.
Celle qui te rend dingue parce tu vois tout mais que rien n’est atteignable : tout est à une distance inimaginable. Tout est à une distance émotionnelle inimaginable.
C’est le chaos à l’intérieur, et absolument rien n’en sort dans une direction quelconque. C’est un chaos insupportable, ça me rend dingue. Ça ne touche rien ni personne, ça ne fait absolument rien bouger, ça ne fait rien avancer, ça n’arrête même pas le temps !
Furieux bien sûr furieux ! Couché furieux, levé furieux, journée furieux, soirée furieux. Voyons.
A constater que tu reste le même, voyons, ça sert à rien de t’énerver. Tu es où tu es et tu y resteras, tu peux être aussi furieux que tu le veux ça ne changera pas. Que voudrais-tu ? Le monde tourne et s’en cogne fondamentalement de toi.
Oh tu peux t’énerver, t’exciter, rien ne changera. Rien. Ils resteront à leurs place, elle restera à sa place. Tu resteras à la tienne, celle à laquelle tous te mettent, tu n’y échappera pas.
Tu peux essayer, essayer d’échapper à la réalité, c’est mort : le temps coule, la journée avance, les choses se meuvent, le soleil se couche, la soirée avance, tu vas aller te coucher et le sommeil va en effacer une bonne partie et demain… rien n’aura bougé, ça aura glissé entre tes doigts sans que tu puisse y faire quoi que ce soit.
Oh tu peux boire pour abréger cette journée, t’évader de toi-même quelques heures. Tu souffriras moins, quelques heures. Tu n’auras rien volé du tout, rien changé du tout.
Voyons mec, pourquoi voudrais-tu que cela change ? Oh tu peux hurler, pleurer, les pièces vont se déplacer, un peu, et revenir à leurs places assez vite. Quelle que soit l’énergie que tu y mettras.
Tu peux bien être furieux, tout le monde s’en fout, et tu le sais ! La réalité s’en fout, les gens s’en foutent, le temps s’en fout, ton métabolisme s’en fout. Hurle ce que tu veux, furie ce que tu veux, ça n’aura aucun impact et tout le monde s’en cogne.
Ce que ça va t’apporter c’est te mettre hors de toi et tu vas voir l’étendue de ton désert, l’immensité de ton impuissance, l’infini cycle de tes errements, l’épaisseur du silence qui te ceint, le néant de ton influence.
Tu te fais du mal, ferme ta gueule, bois, monte le son, et vas te coucher.
Des engueulades, des enfers. De l’enfer qu’elle m’a fait vivre.
Des ailes qu’elle ma coupée. De l’enfer dans lequel elle m’a plongé. Dans lequel je l’ai laissé me plonger.
Des attaques malhonnêtes, gratuites, avilissantes, inqualifiables, destructrices, innommables.
Je me souviens que je l’ai aimé. Comment ai-je pu ? Comment ai-je pu à ce point me tromper ?
L’amour n’est-il qu’illusion, dupe, à ce point … leurre, chimère ? Douleur, au fond ?
Comment peut-on être aussi destructeur alors que l’on dit aimer ?
Comment être aussi con pour se laisser faire à ce point ?
Je me souviens… de ces phrases comme des tisons que je la laissais me planter. Des coups d’épée dans le dos, encore et encore. Des paroles comme de la lave brûlante sur la peau. Et je me laissais faire. Et je croyais bien faire…
Comment ai-je pu me laisser faire… Que vaux-je donc pour m’être laissé faire… pour m’être laissé détruire, rabaisser, enfermer, manipuler.
Comment ai-je pu confondre ceci avec de l’amour…
Je me souviens car j’en porte encore les cicatrices, et qu’elles brûlent encore…