Des répètes et des claques

Le lendemain (j’ai perdu le fil des jours, désolé) ateliers chez Jacarepagua : le matin surdo 3 (pas très intéressant), l’aprem Tamborim, déjà bien plus.
Et le soir, la claque : répète de rue chez Mocidade (groupe spécial, l’école dans laquelle Jérôme a appris la samba)

Quelques mots : la quadra est le QG des écoles de samba. Voyez ça comme un grand hangar un peu aménagé : une scène, une buvette, un local où ranger les instrus, parfois avec des coursives en hauteur, parfois avec une cours extérieure. Les ensaios (répètes technique) ont lieu dans la quadra. Et il y a les répètes de rue (qui sont aussi des répètes).

Elles ont lieu … dans la rue. Le but est de s’entraîner dans un environnement qui ressemble au sambodrome (qui est une rue aménagée avec des gradins). Parce que faire défiler plusieurs milliers de personne demande un peu d’organisation, surtout quand il s’agit de faire faire demi-tour à la bateria, par exemple.

Et à ces répètes de rue toute la communauté se pointe, est là pour voir défiler LEUR bateria. Imaginez une immense fête de quartier. Immense IMMENSE : la bateria défile, et il y a du monde tout le long du défilé, avec son cortège de vendeurs ambulant. Des rues entières son bloquées.

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La bateria se met en place, 250 percus se mettent en ordre, démarrage. Et là … je comprends ce qu’est une bateria du groupe spécial : le son est là, précis, puissant, pas un poil qui dépasse, rapide. Ma mâchoire se décroche. Un des gars de Mocidade (celui qui nous a accueilli au barbecue, surnommé Buddha) envoie Ronan enregistrer le son au milieu de la bateria (il a un enregistreur de son). Il me regarde, voit mon appareil photo, et m’y envoie aussi.

Etant au milieu j’ai des caisses devant et derrière, des surdos derrière ; les tamborims sont loin devant, de même que les cuica, et y a quelques frigideras (une mini poêle à frire en métal qui fait un boucan incroyable) derrière moi. A coté de moi, deux timbao (un long fût en alu en forme cône, ouvert en bas).
Et je reste bouche bée : le son ressemble à une locomotive ; il te pousse, mais il y a une sorte de vibration dans la phrase de caisse. Les timbao font des impros de temps en temps, à chaque break tout le monde est hyper précis, pas un frottement qui traîne. Je reste pas mal de temps au cœur de la bateria pour prendre des photos et écouter ça.

Batida de Mocidade

Pour vous ce sont des hommes, mais pour nous ce sont des demi-dieux ; nous croisons le compositeur de 5 enredos de Mocidade, dont 3 champions ; nous croisons celui qui a inventé les baguettes modernes de Tamborim ; nous sommes au cœur d’une des meilleurs bateria qui répète pour la plus grande fête de la planète. Nous connaissons leur musique depuis notre bout de l’Atlantique, ils sont notre modèle depuis maintenant 2 ans et nous sommes maintenant en leur présence.

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Les trottoirs sont noir de monde tout le long du trajet, tout le monde danse, des banderoles flottent. Je fini par sortir de la bateria pour rejoindre les autres. Je vois passer la reine de bateria, les passistes (danseurs). Ah ouais, quand ils dansent ils déconnent pas : à l’aise, déliés, dans le move, leurs jambes tricotent et ils ont l’air de savoir ce qu’ils font.

Les chanteurs et le cavac font hurler le camion de son (hé oui, ce n’est pas un show de batterie mais une chanson qu’une batterie accompagne). Nous avions révisé les paroles en arrivant. Précaution inutile : au bout de 2000 fois du même air tu fini par le connaître par cœur.

Puis photos tous ensemble, et retour à la maison, les oreilles pleines de la batida (phrase) de Mocidade.

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Je me demande toujours pourquoi la batida de caisse avait cette vibration. Je suppose que vue ma position j’entendais un mélange de caisse, de frigidera et de repique, et que c’est peut-être ce mélange qui provoquait cette effet : les caisses étant carrée (pas de swing) alors que les repiques et les frigideras oui. Je comprends maintenant ce qu’est une vraie recherche de son dans une bateria ; cet équilibre entre les différents instruments, ce que ça donne quand tout le monde est ensemble. Et du coup je me dis que nous avons encore du boulot, dans notre bateria ; mais je sais à quoi nous devrions arriver

Le lendemain plage.

4 caïpi plus tard et faute d’un étalage consciencieux de crème, je suis aujourd’hui brûlé à la jambe.

Mais le soir répète de rue de Tijuca (groupe spécial, vainqueur l’année dernière). Moins bluffant que Mocidade : les rythmistes sont plus indisciplinés, ça « pousse » moins, peut-être parce qu’il y a moins de caisses et plus de surdos, peut-être à cause de la configuration de la rue (entre deux immeubles d’environ quatre étages)

Ca n’empêche que c’est une bateria du groupe spécial, et il y a des tueurs : quand la chanson commence, avant que toute la bateria n’entre, il y un surdo 3, un repique et une caisse qui accompagnent la chanson. Evidemment ce sont les meilleurs qui ont ce rôle.

Je suis à côté de ces solistes à ce moment. Encore une fois : je suis bluffé par la vitesse et la précision de leur coup. Le repique file à toute blinde, improvise, tape sur son fût. Le caisseux danse en même temps. Tous les trois sont à fond dans ce qu’ils font. La bateria prend le relais, ils s’arrêtent, épuisés.
Puis nous filons au bal de Beija-Flor (groupe spécial, vainqueur en 2011, l’année où j’étais débutant) à 1h de route de là.

Dans un endroit où tu ne penserais jamais aller, surtout pas seul. Et pourtant…
Ca se passe dans la quadra. Autant celle de Jacarepagua est relativement petite (et attenante à un vendeur de voiture) autant celle de BF est immense : un hangar. Blindé de monde.

La bateria est sur scène, la place est pleine des danseurs du défilé. Nous avions là encore révisé l’enredo de BF mais quelque chose me dit que nous n’avions pas besoin : il va passer en boucle toute la soirée.

Quasiment impossible de marcher entre les murs et les danseurs, tant il y a de monde. Je chope des caïpi au passage (5eme et 6eme caïpi de la journée) et je monte derrière la bateria. C’est joyeux : ça papote, ça circule, ça change d’instru, le surdo sirote sa bière pendant qu’il tape. Reste que ça déboîte tout de même, mais pas autant que Mocidade.

La place se vide un peu, il y a plus de place pour circuler, les danseurs défilent comme ils le feront dans le sambodrome. La quadra fait la largeur de … deux rues : le défilé boucle au bout de la salle.

Tout le monde connaît la chanson. Tout le MONDE : les je ne sais combien de personne de la communauté de Nilopolis (là où est BF) est ici pour leur école de samba.

Je n’imagine pas vraiment ça en France : des milliers de personnes (l’école de BF est une de celle qui fait défiler le plus de monde: quelque chose comme 4000) réunissent leur force et leur temps, gratuitement, pour un seul évènement  tous les ans.

Ça se finit, nous sortons. Encore ambiance fête de quartier, il est 4h du mat’. Des bouibouis vendent des caïpi (7eme) et à manger. Étrangement personne dans la rue n’est complètement bourré.

Je n’avais pas pris mon réflex numérique, mais j’aurais pu ; a priori idiots.
Et rentrage, couché 5h.

Quelques mots sur l’orga et l’ambiance : nous sommes une douzaine, plus Jérôme. Nous habitons une sorte de villa, à Jacarepagua, loin du centre mais pas très loin des écoles de Samba. Nous louons un van pour nous déplacer aux répètes.

C’est le bordel dans la villa : nous sommes 4 dans ma chambre, et toutes les chambres sont globalement petites. Deux filles dorment dans le salon, où il y a ce que vous pouvez imaginer quand 13 personnes habitent ensemble. Les prises de courant se déboîtent des murs, des cafards courraient dans la cuisine avant qu’un génocide y mette fin. La terrasse est toute juste pour que nous y mangions tous, mais trois de plus vont arriver et elle sera trop petite. Trois filles squattent l’étage, elles ont une terrasse qui est en fait un toit. Nous avons deux douches.

La chaleur, au moins aujourd’hui (le 25), est étouffante. Nous dormons avec juste un drap (paréo, cheich), ou rien. Il fait globalement entre 25 et 30, voir plus, jour ou nuit. Je vous laisse imaginer l’état de nos fringues après un ensaio.
Nous avons une femme de maison : Katia. Elle nous fait les repas et la lessive. Son aide est plus qu’appréciée.

Trois d’entre nous, en plus de Jérôme, parlent bien portugais. Les autres, dont moi, le comprennent environ et sont capable de faire des phrases simples. Bien sûr, le niveau s’améliore de jour en jour.

Nous avons un pods pour diffuser de la musique (qui n’est pas que des enredos). Chacun a apporté son instru (cavac, guitare 7 cordes, pandeiro, rebolo, tamborim) ou de quoi s’entraîner (pads, baguettes) De fait rare sont les moments de la journée où personne ne tapote ou gratte. C’est que ça s’entraîne dur pour ne pas faire trop tâche à Jacarepagua.

J’ai bien progressé sur la batida Estacio, et maintenant je m’entraîne sur celle de Mocidade. Tant qu’à faire trois semaines de samba autant passer du temps à m’entraîner.

Je suis équipé de mon réflex numérique, mais je me suis aussi acheté un petit APN d’appoint pas bien cher (180 euros). Et j’ai bien fait : il fait de bonnes photos, est plus discret que mon gros réflex, et prend des vidéos. Et personne ne se prive pour me le taxer, ce qui est une bonne chose.

C’est Jérôme qui fait notre emploi du temps : « demain répète technique (ensaio) de tel école, après demain ateliers, … » Il passe les coups de fil, discute avec les mestre, et négocie pour nous faire entrer dans les différentes écoles. Le voyage, c’est lui.

Maja, Sanaa, Diana, Morgane, Célia, Christelle, Marylin, Elisa, Léo, Xav, Ronan, Jérôme, moi. Une sorte de dream team, des caractères différents, des niveaux différents, tous geek de samba, de rythme, de musique, ou de tout ça à la fois. Tous venus à la samba par un chemin différent. 1 ou 2 ou 3 ans que nous nous connaissons, pas une engueulade, pas une. Pas une tête plus forte que les autres, pourtant chacun est un emblème (sauf moi ?). Les relations dans le groupe sont étale (j’adore ce mot) dans le sens ou il n’y a pas de mini groupe qui serait le centre de gravité ou de décision du groupe ; et avec quatre mecs pour neuf filles il pourrait y avoir des affaires de désir qui briseraient ce bel équilibre, mais non.

Chacun œuvre pour le bien du groupe de manière désintéressée et bienveillante (je n’aime plus ce mot bien que j’en aime le sens) sans râler, diriger, organiser ou engueuler.

Peut-être que cet esprit vient du fait que nous jouions de la samba en bateria : chacun joue de son instru du mieux qu’il peut mais écoute les autres.

Ça me rappel le groupe avec lequel j’étais, au Kirghistan.

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