Que de découvrir que là où se trouvaient depuis plus de mois plusieurs 2 roues, dont le mien, se trouvent désormais une grand tâche noire, surmontée d’un plafond noir, prolongée par une façade noire.
Je fais un « Real/not-real test » : Est-ce possible ? Improbable mais possible. Est-ce que d’autres personnes autour de moi ont l’air surprises : oui.
Alors c’est « réel ».
Je continue mon test : ne suis-je pas dans un rêve (même si je vois ce que je vois, je le vois peut-être dans un rêve) ? Je crois que non. Suis-je dans la bonne rue ? je tourne la tête, cherche des indices ; visiblement oui. Avais-je laissé ma moto ici ? Oui, de mémoire (ma mémoire étant aléatoire un lendemain de cuite, je m’en méfie quelques fois, mais je me rappel clairement l’avoir laissée à cet endroit, et ne pas avoir bu).
Bon, hé bien tout ceci est réel : ma moto est calcinée, elle n’est plus là où elle devrait se trouver. Elle a probablement été emmenée par les flics. Je passe donc de l’investigation de la réalité de ce que je vois à l’ébahissement.
Et je m’étonne de ne pas être en colère. Je réfléchis : ce n’est pas une voiture, elle ne contenait rien de précieux ; j’avais refais ma selle mais j’en ai bien profité ; je venais de la faire réviser et … comment dire … je me doutais un peu qu’il allait arriver une tuile (ma dernière moto s’est faite cartonnée peu de temps après que j’ai fait changer la chaîne). Aurais-je pu éviter ceci ? Oui : j’aurais pu la prendre hier soir comme j’avais prévu. Mais prévoyant une soirée arrosée, je ne l’ai pas prise, alors que finalement elle fut arrosée mais j’ai dormi sur place ; si je l’avais prise je l’aurais laissée là où je dormais, du coup. Mais en fait non : mes décisions ont été prises avec les éléments que j’avais, et en toute liberté ; je n’avais objectivement aucune moyen de prévoir ce qu’il s’est passé. La même situation de représenterait, je ferrais la même chose. Pas de quoi culpabiliser.
Puis commissariat. Il parait que je suis le premier à me présenter concernant cet incendie. Je ne suis toujours pas en colère, toujours sous le coup de la surprise, bluffé par l’effet de savoir sa moto volatilisée, calcinée.
Les carcasses sont en train de se faire décharger dans le parking du commissariat. Je demande à la voir.
Ébahissement, deuxième. Je cherche la moto des yeux, elle se trouve encore dans le pickup. J’y jette un œil : pas de doutes.
L’on m’emmène ensuite déposer plainte, puis l’on vient me chercher : « Si vous voulez prendre une photo, c’est maintenant : on est en train de la décharger, elle est suspendue en l’air »
C’est impressionnant, très impressionnant. Je regarde en détail ce que le feu a attaqué. La roue arrière a plus pris que l’avant. A-t-on commencé par ma moto ? Le carter d’embrayage a disparu. Explosé ? Je constate à quel point la moto est faite de plastique. Le U est encore là, de même que les pètes dans le réservoir. Les jantes ont fondues, des pièces que je ne pensais même pas pouvoir fondre ont disparues.
Je suis encore ébahi, moitié en train de rigoler. Pas de nervosité mais à cause du caractère incroyable de ce que je vois. Je ne suis toujours pas énervé, je ne sais toujours pas trop pourquoi, pourtant mon moyen de transport favoris est détruit, de longues batailles m’attendent contre des administrations, je ne vais pas récupérer autant d’argent que ce qu’elle m’a coutée.
Mais rien de fondamental de moi n’a disparu, dans cet incendie.
Je profite de ne pas être énervé pour faciliter l’humeur et le travail des policiers : j’ai pas très envie de m’en faire des ennemis…
Une fois sorti du commissariat, je retourne a mes occupations. Mon premier reflex est de penser aux trajets en terme de routes et de sens interdit.
Non non non… Ils vont être plus long, mes trajets, et plus compliqués. Cela va réduire mon espace et ralentir mon rythme de vie.
Et ça, ça me gonfle.
Tracklist : « Le grand incendie », de Noir Désir. Pour le titre.