Je ne vois pas ce que vous n’avez pas compris, dans le film. C’est pourtant limpide.
D’énervement accumulé, je hurle.
Je ne sais plus ce qui a provoqué le déclic ; sans doutes une connerie ; une virgule mal placée dans ce qu’on m’a dit, un script qui tourne de travers, 100ms de ralentissement dans le navigateur, je ne sais plus trop.
Mais la soupape s’est ouverte et je hurle. Toute cette énergie enfin en dehors de moi… Enfin elle traverse la barrière et se répand dans la pièce. La voyant ainsi, je surfe dessus : je balaie tout sur mon bureau d’un coup de main.
Pendant le fracas, le voile noir se met. Plus rien n’existe, plus rien n’a de sens, je ne vois qu’en moi ; je sens ma force, ma rage, je ne vois plus que des images vides, et plus du tout ce que ça représente : une chaise n’est plus une chaise mais un objet du décors à casser, les bureaux deviennent des planches que je peux soulever et envoyer contre les vitres et les parois. Je ne vois plus le bureau au sens lieu de travail du terme, au sens prison, horaires, peuple fixe, atmosphère feutrée et ambiance policée. Tout ceci disparaît, je ne vois qu’un espace à façonner de ma fureur, un monde à faire trembler, un nouveau sens à donner à ce qui m’entoure.
Plus que détruire, je déconstruis ce monde immédiat qui ne veut décidément pas tourner comme je le veux ; je mets une beigne à une poupée qui était sur mon chemin (le contact sur ma main me rappel toutefois que c’est un humain, mais à ce moment, je m’en fous), elle se renverse sur le sol, je soulève un autre élément du décors pour l’envoyer contre un mur. De rage enfin libérée, j’ai envie de tout saccager : tout ce que je vois est une cible pour ma colère.
Ce lieu est le mauvais théâtre des changements violents que je veux voir en mon monde : tout ce que je n’ai pas su dire, tout ce à quoi je n’ai pas su mettre fin, tout ce que je n’ai pas su faire, toutes les décisions que je n’ai pas su prendre prennent ici forme abstraite. Toutes cette fange, toute cette frustration accumulée de laquelle je n’ai pas su détourner le regard et vider de son sens, laisser mourir comme un nuage se délite, sort maintenant en furie.
Et ça me fait un bien fou. Le voile noir est toujours là ; peut-être que des êtres humains sont présents et me parlent mais je ne les entends pas. Et si leur voix parvenait à mes oreilles je ne pourrais pas leur donner un sens.
Je ne sens que mon corps, et rien d’autre. Je veux qu’il entre en contact violent avec le monde réel, je veux sentir la pression des objets sur ma peau, je veux sentir le poids des choses, la textures des objets, la brutalité des rapports humains ; je veux qu’on me résiste. Je veux entrer en contact, ne pas demander pardon quand je frôle un vêtement ; je veux me faire mal et saigner, je veux rencontrer de l’opposition, je veux faire mal pour faire bouger.
Je hurle encore, plus fort. D’un geste je prend ce qui est contre le mur à ma droite, le fait racler contre le sol et l’envoie contre le mur à ma gauche. Le sol se déforme. Ce lieu va ressembler à une nuit d’apocalypse, je le jure.
Je fais la même chose avec le pan de mur à ma gauche, je le fais passer à ma droite, mais par le haut. Je défonce le plafond au passage. Je sens la résistance de ce que je déplace, je me sens en contact avec ce qui m’entoure. Je prends conscience que je ne suis pas dissocié de mon environnement ; ce que je lui fais, je le fais à moi ; il n’est qu’une extension de moi ; mes idées, mes sentiments, ce que je pense, la manière dont je le pense, il en est la forme, l’expression concrète. En agissant sur lui, j’agis sur moi ; mon corps fait l’interface. Et cette interface a trop peu servie ces derniers temps.
De la poussière envahit l’air. Des éléments flambent. Épuisé, le voile noir se lève peu à peu.
J’ai donné un sens à ce lieu.
Track List : « Gebrünn Gebrünn » de Paul Kalkbrenner. Parce que c’est ce que j’écoutais. Et en fait ça colle plutôt bien.
Rêve ou réalité ?
Rêve. Je mets les histoires dans la catégorie « histoire ». Et faut voir Sucker Punch 🙂