Le point de bascule

Je m’étais dit « si ça se reproduit, je me casse ».

Ca s’est reproduit.

J’ai senti la colère monter en moi. Je l’ai calmée juste le temps de peser mon environnement géographique, relationnel et temporel. Puis je l’ai laissé monter pour voir quel poids elle avait.

Bon, elle est là, présente, têtue mais pas si violente.

J’en laisse passer un peu, je coupe tout et me casse faire un tour. On me regarde, je dis fermement en laissant de la colère suinter : « fais le daily, ça me soûle ». Il comprends parce qu’il sait.

Dehors, je pèse encore. Non décidément non non et non, je n’accepte pas. Je n’ai pas mérité d’être traité comme ça. Qu’ils aillent tous (et elle) se faire foutre. Cette fois-ci moi passe avant eux. S’ils ne comprennent pas je ferai pire. Je tourne autour du pot, je pèse encore. Non, cette fois c’est moi avant eux. Et non je n’ai pas envie d’y retourner. Et j’ai envie d’une chose : les envoyer se faire foutre, ne pas leur parler, ne pas répondre, les laisser en plan, les laisser gérer. Penser à ma gueule.

Le plus marrant c’est que je n’ai aucun scrupule, aucun doutes ; c’est d’une évidence lumineuse : je n’ai pas envie d’y retourner, pas envie de tout ça, et au moins aujourd’hui. Point. Y a pas débats.

Donc je vais prendre mes affaires et je me rentre chez moi. Toujours sans remords, sans honte. Je planifie ce que je vais faire aujourd’hui. Il me semble que ce temps volé me sera très profitable (pourquoi est-ce que je ne vole pas plus de temps, moi ?). J’ai une boule dans la gorge, les larmes montent, je crois que c’est de libération de faire enfin ce qui est juste pour moi.

La colère me protège. Et c’est ce que je cherchais. Merci à elle.

Tracklist : ça, parce que ça me donne des frissons et parce que ce genre de musique à haut volume c’est moi.

Phase

Une fureur noire d’être seul.

Mes doigts s’agrippent à tout ce qu’ils peuvent, même ce qui est glissant, même ce qui brûle, même si cela est inutile.

Le monde physique est calme mais c’est le chaos en moi : tout tourbillonne en une furieuse envie de destruction.

Le

Temps

Passe

Je voudrais qu’il cesse afin de prendre le temps de tout détruire.

Mais au lieu de cela il passe.

Et je hurle.

Car il passe et rien ne change, et je ne peux rien changer car tout ne dépend pas de moi. Hein ?

Alors il passe, je le regarde passer et ne rien changer. Rien.

Je m’agrippe désespérément au vide. Mes doigts cherchent et ne trouvent rien. Des morceaux de moi volent et cherchent à atteindre mais ne trouvent rien, bien sûr, ne trouvent rien !

Ils volent, collent, salissent, dérangent, me disloquent.

Phase

Mon lit n’est plus un refuge, la nuit n’est plus un refuge. Je vais dormir trop peu de temps et me réveiller comme par magie dans la même merde (je voudrais ne plus me réveiller). Je m’endors avec la même merde dans la tête que celle qu’il y aura demain matin, la nuit ne lavera rien, le temps s’écoulera et modifiera encore et toujours rien. L’alcool lave. Quoi d’autre lave ?

Mon appart n’est plus en refuge. J’y suis seul, atteignable. Trop d’obligations l’habitent. J’y suis trop à l’étroit. Il y a trop de moi, trop de merdes, pas assez d’espaces, pas assez de possibilités. Et de toutes façons personne ne vient.

Mon emploi du temps n’est plus un refuge. Il me pète les couilles. C’est de la glu grise et froide, j’y suis prisonnier, ou imagine l’être. Les mêmes gens sont aux mêmes endroist aux mêmes heures à faire les même choses. Ça me donne envie de hurler pour que tout cela se réveille.

Sans

Je me lève je n’ai pas envie de me lever, pas même envie de me réveiller. Pas envie de parler aux gens, pas même envie de les voir, de penser à eux.

Pas envie d’obéir, ni même faire ce qu’on me dit, ce qu’on attends de moi, ce que je suis censé faire. Pas envie de parler, ni même penser.

J’ai juste envie de flotter, sans sensations, sans pensées.

Ablation

— Alors, comment vous sentez-vous, au bout d’une semaine ?
— Mieux. Moins « éparpillé ». Je peux marcher dans la rue sans avoir la sensation d’être écartelé. Je peux regarder les gens sans être happé. Je peux aller travailler et rester concentré. Je peux aller faire du sport et juste faire du sport. Je peux avoir des conversations normales avec les femmes comme avec les hommes. Je peux regarder dans les yeux sans me perdre, je peux écouter et juste être à l’écoute.
— Vous ne sentez pas de manque ?
— Non. Ou peut-être le manque de « couleurs » dans ce qui m’entoure.
— Vous avez l’air moins fatigué.
— A qui le dites-vous ! Tout file droit, dans ma tête, maintenant. Je ne deviens pas dingue sans arrêt, je n’ai plus cette incessante sensation de déchirement. Et je prends les gens pour des gens !
— Comment ça ?
— Je tisse de vraies relations avec eux, rendez-vous compte ! Ils m’intéressent pour leur côté humain, point !
— Je vois. Reparlez-moi de ce manque de couleurs.
— Oui… disons que maintenant qu’il n’y a plus de hauts et de bas ça me semble fade, plat. Plus personne ne sort du lot. Entendons-nous, Docteur : ça me va très bien comme ça, c’est bien plus reposant. Mais avec cette opération c’est comme si … oui, comme s’il manquait des couleurs au monde qui m’entoure. Vous savez les couleurs font que l’on distingue une chose d’une autre, que notre regard est attiré ou pas, que l’on change de route. Elles portent un message, même, ces couleurs. Plus maintenant. J’ai l’impression que ce qui m’entoure est devenu silencieux ; ça file droit, oui, et il n’y a plus rien pour infléchir la trajectoire, ni plus rien pour… hé bien… me guider quelque part.
— Vous n’avez plus de boussole, en quelque sorte ? C’est intéressant.
— C’est ça. Je me lève le matin, je fais ce que j’ai à faire parce que je dois le faire. Je ne dévie pas.
— Cette opération est encore expérimentale, comme vous le savez. Vous êtes un des premiers à en bénéficier. Nous avons encore peu de recule sur les conséquences, mais vu la souffrance dans laquelle vous étiez et l’échec des autres traitements, c’était une voie envisageable. Je vais discuter avec mes autres collègues pour savoir si leurs patients ont eu les mêmes effets.
— Bien Docteur. Mais…
— Oui ?
— L’opération est définitive ?
— Comme je vous l’ai dit, c’est expérimental et nous avons trop peu de recule pour que je puisse être catégorique. Vu comment est constitué l’être humain, il n’est néanmoins pas impossible que cela revienne ; ce que nous avons enlevé est en quelque sorte constitutif de l’être humain mais selon ce que nous savons ce n’est pas vital. Si cela revient j’ignore si cela sera sous la même forme ou sous une autre, avec la même intensité ou diminué.
— … je me demande si je ne me préfère pas avec …
— Nous verrons comment cela évolue. Je repasserai demain pour prendre de vos nouvelles. Bonne journée !

— Alors ? que pensez-vous de ce qu’a dit notre patient ?
— C’est passionnant ! Je ne pensais pas qu’une telle opération était possible ! C’est fascinant de voir ses conséquences et quels pans de sa vie cela affecte !
— Oui, j’ai bien peur que le désir affecte une grande part de la vie, bien plus que ce que nous pensons. Cela le faisait énormément souffrir, comme vous vous en souvenez surement lors des entretiens. Son amputation était une opération risquée et difficile. Nous avons bien fait attention à enlever seulement cette partie et rien d’autres. Mais je crois bien que le désir irrigue bien plus de partie de notre vie que ce que nous pensons, et que son ablation ne soit pas sans risques.

Boire

Pour ne plus penser, pour calmer les pensées, pour m’isoler du monde (pour isoler le monde de moi).

Pour geler tout ce qui vole en moi, pour couper les ponts et pour éviter de tout envoyer voler. Pour m’étouffer, moi, plutôt qu’étouffer le monde. Pour calmer, pour TUER les attentes.

Pour. Faire. TAIRE ces voix qui ne me laissent jamais en paix, qui déchirent mon présent et ma présence.

Pour éviter que ces doigts fouillent en moi.

Voyage dans le temps – Le pays des abeilles

Ici le temps est plus calme, plus accueillant, moins agressivement vide que dans le centre. Les pensées ont le temps d’y prendre racine. Il a une structure assez douce, qui est celle de la journée et du rythme du soleil, puis des saisons. Dans cette structure en fin de compte assez peu de choses, mais pas rien. Il est fait de bois, et de montagnes bien sûr. Il est fait de deux personnes. Et demi. Une reine (au rythme lent) et son roi. Et leur enfant, bien calme.

Aucune obligation d’aucune sorte. Personne à éviter, personne à attirer, presque rien à penser.

Les pensées, timidement, prennent leurs aises, tâtent les limites du temps et s’apercevant qu’il ne les empêche pas de s’épanouir, étendent leurs ramifications.

Voyage dans le temps – temps presque infini

Ici, là, au fin fond du centre, le temps est infini.

Sans doutes parce qu’il n’est peuplé de rien, que le lieu est isolé de beaucoup de choses, que je ne peux aller nul part (je suis à pied) et que je ne vais croiser personne (ou presque).

Mes besoins sont pourvus, et à heures fixes ; je n’ai pas grand chose à prévoir.

Une fois mangé et dormi je m’aperçois qu’il reste encore beaucoup, beaucoup, d’heures vides car je n’ai rien de prévu. Et quand elles défilent un peu vite, ces heures, juste un tout petit peu trop vite, je regarde dans le futur et je m’aperçois qu’il y a encore plusieurs jours vides ; autant dire une infinité.

J’ai juste un marais à éviter, tout au long de la journée. Mais peut-être fait-il que ce temps est infini. Peut-être est-ce lui qui absorbe le temps. Peut-être est-ce sa présence qui repousse l’écoulement du temps.

Comment pleurer ?

Prendre congé de soi, se foutre la paix, tout déposer dans un coin et prendre un tournevis pour prendre le temps de réparer, d’observer, de comprendre, de remettre les choses en place. A l’abri, isolé, sans être emmerdé.

Ni par soi-même ni par les autres.

Comment, donc, dire (hurler à faire trembler trame de l’univers) stop. Stop au temps, aux sensations, à tout.

Et comment dire aux autres, à tous, qu’ils ont tort et que je sais bien, moi, ce que je ressens puisque c’est moi qui le ressens. Et que si j’ai mal là, qu’il me manque ça et que je vois les choses ainsi c’est que j’ai mal là, il me manque ça et je vois les choses ainsi. Point. Non ?

Comment gérer tout ça sans craquer ? Comment faites-vous pour ne pas craquer face à l’absurdité du monde et tous vos défauts ? et face à vos douleurs ?

Comment faites-vous pour gérer tout ça sans pleurer ?

Comment faites-vous pour pleurer ?

Tracklist – « Une table à trois », de Zen Men. Parce que … est-ce que c’est les autres qui ne comprennent rien ? ou est-ce que c’est moi qui ne comprend rien ?