Alors voilà, le grand jour arrive finalement : samedi soir rendez-vous au Sambodrôme (son vrai nom est « Avenida Marquês de Sapucaí », hurlé « Sapoukahi »). Nous sommes dans les frisas, secteur 3.
Petite topologie du Sambodrôme, de ce que j’en ai appris.
C’est une avenue de 800m de long, 12m de large, 88500 places, avec des gradins sur les côtés. Les gradins sont divisés en :
- frisas : au raz de la chaussées, étagées (une hauteur de marche) sur 3 lignes : A, B, C, de la plus proche à la plus loin de la piste.
- camarotes : les loges, à 4m de haut. Pour le gratin.
- arquibancadas : gradins en hauteurs.
Et l’avenue est divisées en 13 ou 14 secteurs. Le 1 est le plus proche de l’entrée, et réservées à la communauté des écoles (c’est les écoles qui revendent ces places), les 12 et 13 (ou 13 et 14, je ne sais plus) sont au bout de l’avenue, mais assez éloignées de l’avenue, cette dernière finissant en une sorte de place où le défilé tourne. Cette place est bordée, en son extrémité, d’une euh … « sculpture » qu’on appel le String parce qu’il ressemble à un string (avec un peu d’imagination). Les secteurs pairs sont à droite, les impairs à gauche.
Dans l’avenue se situent 2 « boxs » : ce sont des espaces perpendiculaires à l’avenue où la bateria peut se loger. Voyez ça comme une espèce de parking. Le premier est au tout début, à droite, à côté du secteur 2 et presque en face du secteur 3. A cet endroit sur l’avenue il y un barrière : la ligne de départ. Le box est juste avant cette ligne. Le second box est plus loin, à gauche.
Ces stands peuvent contenir environ 300 personnes debout. Ce qui limite de facto la taille de la bateria.
Chaque école du groupe d’accès peut avoir jusqu’à 4 chars, pas plus. Et 8 pour le groupe spécial. Le défilé dure maximum 40 min pour le groupe d’accès, 80 pour le groupe spécial.
Voici comment ça se déroule : la bateria entre et se chauffe devant le secteur 1. Elle joue ce qu’elle veut, habituellement un enredo d’elle connu, ou le sien de l’année dernière. Elle dépasse le premier box, pivote (chaque rythmistes fait demi-tour sur lui-même), puis « avance » « la tête en arrière », entre dans le box, pivote de nouveau, et s’arrête de jouer. Le commission de front (des danseurs et éventuellement un petit char chargés de présenter le thème choisi par l’école) s’approche devant la barrière. Dès qu’elle s’ouvre le compteur démarre. La moitié des chars défile, à commencer par le premier, le char abra alas (ouvre ailes), puis la bateria rejoint le cortège, et l’autre moitié des chars passe. Au bout de l’avenue, la bateria se parque dans le box, laisse passer la seconde moitié du cortège, et le clôture.
Les juges sont en 3 points du parcours. Il y a 10 critères de jugement, la bateria est un des critères. La note finale est sur 300. Le premier point de juges est entre les secteurs 3 et 5 (à gauche, donc), le second plus loin, à droite, je ne sais plus entre quels secteurs, et le dernier tout au bout, sous le « string ».
Toute l’avenue est sonorisées : des hauts parleurs juchées sur des poteaux diffusent la musique de la bateria et des chanteurs à tout le Sambodrôme. Pour ce faire, la bateria est suivie tout du long par des zouzous avec des micros…
Bref, nous sommes dans les frisas du secteur 2, ligne A, la plus proche de la piste. Les frisas sont divisés en box de 6 places, nous avons donc 3 boxs.
Nous arrivons très en avance pour poser tout notre barda : fantasias (« costume » se dit « fantasia » 🙂 ) et piche-nique (y a la nuit à tenir, tout de même). Il est possible de choper un petit livret qui contient une description des écoles qui vont défiler ainsi que les paroles des enredos. Les heureux élus du défilé de Jacarepagua vont à la concentraçao (le point de rendez-vous des rythmistes pour se préparer). Christelle a l’heureuse surprise de se voir remettre un costume qu’il y avait en plus ! Les autres retournent dans les frisas et se mettent au sport national : l’attente.
Nous finissons par les voir se pointer au bout de l’avenue, il est environ 21h. La température est douce, entre 25 et 30, comme depuis 3 semaines. Ils se mettent à jouer, se parquent, se taisent, et les chars défilent.
Et là commence le défi: décrire.
« O maior show da planeta », le plus grand show de la planète. J’y suis, et dans les frisas, certes pour voir le groupe d’accès, mais merde tout de même ! Je pense à ma chérie, je pense à mon aventure…
Les chars arrivent, et là une phrase s’impose : « ah ouais quand même! ». Je ne me faisais du carnaval que l’idée de la bateria, qui ne compte que pour un dixième dans le total. Je comprends où sont les 9 autres dixièmes : sous mon nez : les costumes, les chars, l’ambiance, la chanson hurlée, la fluidité du défilé. Ok, une bateria qui déchire ne fait pas forcément gagner l’école. Ok je te crois quand tu me dis que le carnavalesque (celui tout en haut de la pyramide, celui qui a les idées) y est pour la moitié au moins dans le score. D’autres surprise m’attendent le lendemain soir à propos de l’orga du carnaval mais pour ce soir voilà ce qu’est LE carnaval de Rio ; indescriptible.
Mais ce sont les costumes qui m’ont le plus bluffé : rien à voir avec ce qu’on peut trouver par chez nous. Ils sont chiadé, complet, magnifiques, colorés, inventifs. Tout le monde en est pourvu. Rien à voir avec ce qu’on trouve en France dans nos pseudos carnavals. C’est qu’ici ils racontent une histoire, mais je l’apprendrai le lendemain…
La bateria passe, je les cherche avec mon appareil, réussi à les choper. Le reste des chars défile puis … les balayeurs ! C’est qu’il s’agit de laisser place net pour le suivant.
Mais bluffé que je sois, j’observe. « Habitué » à la scène je sais que tout n’est pas parfait. Certains chars sont loin de l’être, surtout chez Imperio Serrano: des détails se décollent, certaines statues sont enfoncées à des endroits, des décors sont usés. Ca va faire perdre des points, ça, même si la bateria était de qualité…
Les écoles qui m’ont le plus plu ce soir sont Tradiçao et Cubango. Des noms étranges mais un très joli défilé, inventif, et un enredo qui colle bien à la tête.
Puis il est temps pour nous tous d’aller à la concentraçao de Padre Miguel pour nous préparer : nous jouons en 9eme et les 5eme commencent. 2h d’avance, ça sent l’attente interminable, ça.
Nous nous pointons au camion d’instru, prenons nos intrus, et nous nous habillons. Tous ? Non : l’une a oubliée son pantalon à l’appart, et il ne semble pas y en avoir en rab. Pas de costume complet, pas de défilé… La tenue de rigueur en cette saison étant léger+havaianas et le costume étant intégral (coiffe, haut, pantalon, chaussure, accessoire) l’astuce est de glisser les havaianas dans une poche de son bermuda… Ah oui, détail : tout ce qui ne fait pas partie du costume ne doit pas se voir. Exit donc la camera sur la coiffe pour filmer le défilé. Tout doit être uniforme.
Le reste est fait de beaucoup d’attente dans un costume en synthétique par un bon 25°C.
La bateria est un bon foutoir à mettre en place. Nous devrions théoriquement être tous alignés, enserrés par les marcations ; cuica, chocalho et tamborims devant, caisses ensuite. Quelque chose me dit que ça ne va pas être carré du tout. Je planque mon appareil photo dans la ceinture (quelle bonne idée j’ai eu d’acheter ce petit appareil avant de partir!), attachée à un brin de mon collier.
Nous arrivons finalement au début de l’avenue. Question : là maintenant, qu’est-ce qui pourrait faire que je ne défile pas ??
Ca démarre. Ok alors voici comment ça va se passer : je vais essayer de mettre les accents au bon endroit, et le reste, hein, on verra. Pas très zen, le lapin.
La bateria se met dans le box. Je ne vois pas grand chose de ce qui m’entoure. A la vérité ça ne change pas beaucoup des autres défilés de rue, sauf que là je suis DANS le Sambodrôme, costumé, et que … ah merde, il se met à flottouiller, et … ah oui, les chars défilent devant moi ! et … euh … pourquoi j’ai le micro juste au dessus de ma tête ?
Nous sortons du box pour nous mettre derrière la reine de bateria. C’est parti pour 800m de défilé. Comme prévu seuls mes accents sont à peu près au bon endroit, mais le directeur des caisse nous fait sans cesse le signe de ralentir. Ça joue donc … moins vite que ce dont j’ai eu l’habitude pendant ce séjour. Ca ne change rien au fait que c’est le bordel dans ma batida. Je me dis que je n’ai décidément rien appris, pendant ce séjour… Ceci vient s’ajouter aux autres contrariétés (dukka) et alimente mon marais intérieur. J’essaie de rester au dessus de lui, je regarde autour de moi : des gradins, des gens, des micros, de la pluie, des lumières, des costumes, Xav qui me souri…
Xav … le même genre de personne qu’un de mes collègue de taf. Même silhouette, même genre de tchatche, même genre d’esprit (en moins cynique), même genre de geekerie (mais lui pour le samba, lui pour un certain domaine de l’informatique), un genre d’érudit bavard fondamentalement sympa et de bonne humeur ; le seul pour lequel je ne me sente pas transparent. Il a dû se passer quelque chose en lui pour qu’il change subtilement d’attitude envers moi, à un moment, et … me fasse des compliments, et fasse attention à mes humeurs et tente de les remonter. Comme il s’est passé quelque chose avec mon collègue à un moment donné, sauf que pour Xav je ne sais pas quand a été ce virage. Je repense à Alicia. Alicia… Je me remet dans mon attitude favorite : je plane, je patiente (résigné ?), détaché.
Les minutes passent, nous passons devant le secteur 3. Photos, elle a le sourire, c’est cool quand même. Les gradins ne sont pas plein, et pour cause : groupe d’accès plus pluie. Mais voilà, nous arrivons au bout. Je sens que ça se délite : certains arrêtent de jouer, les lignes sont là vraiment en bordel.
Puis takadakadak poum poum : fin. Pose des instrus, détente des doigts. Je regarde autour. Défiler dans le Sambodrôme : fait ! Nous rejoignons le camion, tout le monde se désape. Et je vois ce que me disaient ceux qui ont défilé pour Jacarepagua : la plupart jettent leur costume à la poubelle, ou dans le fossé. Faut dire que ce n’est pas leur premier défilé, ils en ont certainement rien à carrer, de leur fantasia.
Nous retournons à nos frisas. Il doit être environ 6h du mat’. Encore un peu d’attente en nous rentrons. Il est 8h. Le jour est levé. Il fait un bon 30 degrés.
Excellente transition : pour dormir nous avons le choix entre la fenêtre fermée et donc un four ; et la fenêtre ouverte, et donc une cocotte-minute, et le choix entre 3 bruits d’ambiance : l’aboiement des chiens, du baile funk à plein volume, ou les perroquets d’en face. Rarement les 3 en même temps. Bonne école de patience …
La journée passe. La chaleur est étouffante, comme bien souvent. Ce soir c’est défilé de la première partie du groupe spécial : 6 écoles. Mocidade, dans laquelle joue Jérôme, passe en avant dernier. Ca commence à 20h. Nous sommes dans le secteur 2, juste en face du 3, donc juste a côté du premier box. Nous verrons la bateria s’avancer puis faire demi tour pour se ranger dans le box, puis repartir au milieu du défilé.
Nous chopons des petits carnets. L’un d’eux contient, pour chaque école, la description de chaque partie du défilé, aile par aile, char par char, passiste par passiste.
Prenons le défilé de Salgueiro (Academico de … ). Thème : Fama (la gloire). Le but est de mettre en chanson et en défilé ce thème. Le défilé est donc composé de :
- la commission de front : elle présente le thème. Pour Salgueiro c’était une grosse berline et des danseurs chorégraphiés qui figuraient une personne connue, ses paparazzi et ses gardes du corps.
- des ailes (plusieurs dizaines): des groupes de personnes avec un même costume, chorégraphié ou pas.
- des portes-drapeaux (quelques uns): un couple de danseurs avec un costume particulier.
- des chars (maximum 8): bah des chars. Plus ou moins immense, animés, chorégraphiés…
- la reine de batterie (une) : qui danse devant la bateria.
- des « destaque de chao » (costumes à usage unique, genre passistes, danseuse) : de temps en temps.
Tout ceci est organisé en secteurs thématique : la mythologie de la gloire, les stars, mon portrait, … Pour Salgueiro c’était 36 ailes, 7 chars, 4100 personnes.
Le petit carnet décrit la signification de chaque aile, char, costume, … Ça permet de comprendre comment le thème a été compris et décliné. Voyez l’affaire : ce sont des gens qui défilent en costume. Le message est donc porté par le costume. Vous en voyez l’importance, maintenant ?
Les chars offrent bien sûr bien plus de possibilité. Certains sont plutôt simple, d’autres … incroyables. Un de Tijuca était un toboggan d’eau!
On voit là la différence entre une école du groupe spécial et une du groupe d’accès (qui a dit que ça dépendait de la thune ?)
Première école, première claque : Inocentes (de Belford Roxo). Ça va être dur de prendre des photos ET admirer le défilé. J’en ai des frissons. C’est donc CA LE carnaval de Rio ; le groupe spécial, le top of the pop de la plus grande fête de la planète.
Les gradins sont en bétons. Ça tombe bien en général vous ne restez pas assis longtemps. A ma surprise on voit plutôt bien le défilé, d’où que l’on soit : la vue et plongeante et les gradins étagés de telle manière que vous voyez la piste même debout quand tout le monde l’est. Tout ce qui pourrait gêner est un bras levé. En plus ils ne sont pas très éloignés de la piste, et à la hauteur du sommet des chars. Sans en voir les détails, les costumes sont bien visibles. Quiconque est allé au Stade de France voir un concert ne peut qu’apprécier ce genre de configuration…
Les chars, les costumes, sont sans commune mesure avec ceux du groupe d’accès. On sent qu’il y a plus de moyen, que c’est un autre niveau. Mais ils ont aussi des défauts : un des décors de Mocidade était brisé.
Deux défilés m’ont particulièrement impressionnés : Tijuca et Salgueiro. Tijuca est le gagnant de l’année dernière. Tout le monde dit que c’est grâce à son carnavalesque. Je comprends pourquoi… Le thème choisi est l’Allemagne. Les chars sont … dingues : l’un une est toboggan d’eau, l’autre une foret enchanté chorégraphie, l’autre symbolise le passage dans l’eau-delà par un gars qui cours sur une rampe et saute au trampoline pour atterrir dans une arène noire, l’autre la lune avec des cosmonautes, …
Dur de prendre des photos de … Uniao da Ilha après ça.
Mocidade passe, puis Portela ; nous connaissons bien sûr par cœur l’enredo de l’un et de l’autre. Je me demande quel aurait été notre « éducation » si au lieu de Mocidade, Beija-Flor, Portela, Jacarepagua et Padre Miguel nous aurions traîné avec Grande Rio, Tijuca, Tuiuti, … Sans doutes la même chose, mais avec des couleurs différentes…
Tout le monde chante à tue-tête, s’emballe, moi pas. Pourquoi moi pas ? Pourquoi moi je prends des photos plutôt que chante ? Pourquoi j’observe plutôt que participe ? Pourquoi ça me soule de m’emballer ? « Gab, c’est tout de même mieux de l’avoir ». Ouais, certes, merci Xav, mais j’aimerais qu’on ne me réduis pas à ça, et au preneur de photo.
Pas de bol pour moi, cette humeur va persister le reste de la « soirée ». Orage dans ma tête, que je n’arrive pas à noyer dans la caïpi. Guerre … contre Jérôme et Alicia. Et la « comunidade ». Et finalement contre moi. Ça faisait des jours que ça couvait, ça a éclaté ce soir. Bien sûr je n’ai rien « dit », trop poli. J’ai juste écrit…
J’ai hâte de rentrer, mais je ne sais pas en fait pour retrouver quoi, ou qui ; Alicia prenant un peu de champs (je vous passe les détails). L’habituel rythme de fou ? Mes habituels non choix ? Mon habituelle médiocrité ? Je vais continuer à flotter, au dessus de tout … avec cette expérience en plus.