(Tiré de ‘Les enfants de l’esprit’, d’Orson Scott Card, que j’ai terminé hier soir)
Contexte: Jane, anciennement ordinateur assez balèze et assez spécial (elle peut, entre autres et dans une certaine mesure, savoir ce qu’il se passe dans la tête des gens), vient d’intégrer le corps d’une personne vivante. Je vous passe les détails, hein. Dit comme ça c’est con, mais dans le bouquin l’idée est assez géniale. Et donc Jane, aussi puissante ordinateur qu’elle était, n’a pas l’habitude des émotions et des sentiments. Elle vient d’avoir une discussion plus que tendue avec Quara, personnage qui a un (sale) caractère assez fort, qui s’emporte facilement et a le don de provoquer tout le monde. Fatalement, comme elle (Jane) ne sait pas gérer ses émotions elle s’est emportée. Au moment où se passe la scène, elle a pété un plomb et est partie se réfugier dans une autre pièce. Son ‘amoureux’, Miro, va la voir. »
Ça a dû être difficile pour toi de couper court à la dispute et de te réfugier ici, dit Miro.
– J’ai eu envie de la tuer. » La voix de Jane était à peine audible à cause des sanglots et des spasmes qui la secouaient. « Je n’avais jamais ressenti cela. J’ai eu envie de bondir de mon siège pour lui voler dans les plumes et lui donner une correction.
– Bienvenue au club.
– Tu ne comprends pas. J’ai vraiment eu envie de le faire. J’ai senti mes muscles se nouer, j’étais prête à le faire. Sur le point de le faire.
– Comme je viens de te le dire, Quara provoque souvent ce genre de sentiment chez nous.
– Non, pas de cette façon. Vous arrivez tous à rester calmes. A garder le contrôle.
– Toi aussi tu y arriveras, lorsque tu seras habituées. »
Jane redressa la tête, la secoua. Ses cheveux fouettèrent l’air. « C’est vraiment ce que tu ressens toi aussi?
– C’est ce que nous ressentons tous. C’est pour cela que nous avons une enfance – pour apprendre à dominer nos pulsions violentes. Mais elles sont en nous tous. Même les chimpanzés et les babouins ressentent cela. Nous les affichons. Nous éprouvons le besoin d’exprimer physiquement notre rage.
– Mais vous vous retenez.Vous gardez votre calme.Vous la laissez cracher sa bile et dire ces terribles…
– Parce qu’il ne servirait à rien de l’en empêcher. Elle en paie le prix. Elle est désespérément seule et personne n’ai envie de partager sa compagnie.
– Ce qui explique qu’elle soit encore en vie.
– Exactement. C’est ainsi que se comportent les personnes civilisées – elles évitent toute circonstance qui risquerait de les faire sortir de leurs gonds. Et si cela s’avère impossible, elles prennent du recul. C’est l’attitude que nous adoptions, Ela et moi. Les provocations de Quara nous passent au-dessus de la tête.
– Moi je n’y arrive pas. C’était si simple avant que je ressente cela. Je n’avais qu’à me déconnecter d’elle.
– C’est exactement ça. C’est ainsi que nous faisons. Nous nous déconnectons d’elle.
– C’est plus compliqué que je ne le pensais. Je ne sais pas si je pourrai y arriver.
– Eh bien pour le moment, tu n’as pas vraiment le choix.
– Miro, je suis désolée. Je ai toujours eu pitié de vous autres humains parce que vous ne pouviez penser qu’à une chose à la fois et parce que vos souvenirs sont flous… et maintenant je comprends que passer une journée sans avoir tué quelqu’un est en soi un véritable exploit.
– Ça devient vite une habitude. La plupart d’entre nous arrivent à limiter les dégâts. C’est une manière de vivre en bon voisinage.
Comme quoi les bouquins de SF peuvent avoir de la finesse 🙂