Dénuement

Il faisait un froid de canard, dehors ; il neigeait. Le gars est rentré dans le bar, s’est secoué, a enlevé sa veste et l’a posée sur une chaise.

Le bar n’était pas plein, loin de là. J’étais à quelques mètres de l’entrée

Il a donc enlevé sa veste, puis son écharpe, son bonnet. Il a continué avec son pull, calmement.

Il ne disait rien, ne regardait personne. Le rythme avec lequel il se désapait faisait penser qu’il n’allait pas s’arrêter là. Pour autant, je ne sais pas pourquoi mais je trouvais ça … « sain », « salvateur ». Comme si en se déshabillant il … me déshabillait moi, me soulageait de mon fardeau (qui se limitait, pour l’instant, à mon manteau). Sa manière de faire avec quelque chose d’envoutant ; j’avais l’impression, en quelque sorte, d’être lui ; ce qu’il faisait, je le faisais.

J’avoue avoir commencé à paniquer quand il a enlevé ses chaussures, mais je me suis calmé en regardant mes pieds : les miennes y étaient toujours.

Il a ensuite enlevé ses chaussettes, son pantalon, son tee-shirt. Toujours au même rythme, sans nous regarder, toujours comme si en faisant ça il nous montrait l’exemple et prenait sur lui de nous alléger, toujours sans regarder personne alors que, j’ai vérifié, tout le monde le regardait. Et tout le monde le regardait comme moi : avec cette sensation d’être lui.

Puis il a fait glisser son caleçon. Personne n’a fait attention à ce qu’il pouvait cacher, personne ne « voyait » ce que la chute de son caleçon révélait. Le bar n’existait plus, nous étions cet homme qui s’allégeait. Entre lui et nous, pas d’espace, pas de séparation, plus de conventions, plus de « social ».

« Que va-t-il enlever ensuite ? » Nous sommes-nous demandé. Mécaniquement il ne restait pas grand chose, pourtant il était certain qu’il allait continuer.

Il a enlevé ses cheveux, puis sa peau en commençant par son visage, le plus naturellement du monde. Évidemment il n’avait pas l’air de souffrir. Nous aurions dû être effrayé mais nous nous sentions de plus en plus léger. « Sauvé » ? Ce n’est pas le terme exact mais c’est celui qui nous vient à l’esprit.

Quand il a eut fini avec sa peau, qu’il a posé à côté de lui, sur la même chaise que sa veste, à l’entrée du bar, il a continué avec ses muscles, comme s’il sortait d’une chrysalide. En réfléchissant, nous aurions dû considérer tout ceci impossible et nous évanouir, ou partir en courant. Mais en fait nous ne « voyions » rien ; ce qu’il le faisait, nous le faisions, en quelque sortes, mais différemment : il métaphorisait ce qu’il était en train de faire dans nos têtes. Ce n’est pas très clair ? Pour nous non plus, en vérité …

Après ses muscles il a enlevé ses organes. Nous savions qu’il n’allait pas s’arrêter là mais nous avions du mal à la concevoir. Alors après ses organes il a déposé ses os, un par un. Au fur et à mesure qu’il se dénuait il enlevait des pans entiers de « nous », comme des plaques qui cachaient une sorte de soleil, ou de grand ciel bleu, ou un lac. Tout ceci était très étrange pour nous : notre bruit de fond mental avait cessé ; nous ne « voyions » plus rien ; nous faisions partie de … « tout », de lui, des uns et des autres, du bar, de l’air. Plus rien n’avait réellement d’importance. Disons que nous avions pris une distance phénoménale avec ce que nous considérions comme important. Un certain sourire flottait sur nos visages. Pas de la moquerie, oh non, plutôt une sorte de béate et profonde certitude d’être arrivé au bon endroit, ou d’avoir achevé quelque chose de fondamental.

Puis il s’est avancé dans la salle et s’est enfin assis.

Quand à nous, nous nous sentions incroyablement … vide, mais de ce vide calme duquel tout peut naître.

Inspirations:

1 réflexion sur « Dénuement »

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