"Et s’il n’était pas passé?"

C’est le sujet de la dissert’ que Ber nous a demandé d’écrire à propos de cette histoire

Alors allons-y pour le roman.

PS : Merci à Marcatchoum pour la relecture.

Personne ne passait par notre route, à croire que c’était un endroit maudit. Faut dire aussi qu’à vue de nez y avait pas grand chose à faire dans le coin à part mater le paysage, ce qui est franchement limité vu la température et le jour qui tombait.

Vue comme ça, il ne restait pas beaucoup de possibilités :

  • Pioncer dans notre nouvel igloo et attendre le lendemain matin histoire d’avoir un peu plus chaud et une chance que quelqu’un passe par là. C’était faisable: on avait de l’essence donc de quoi faire tourner le moteur et nous chauffer, la voiture était assez grande pour qu’on y dorme tous (et puis faut avouer qu’on a dormi dans moins confortable), on avait assez de réserve de bouffe (merci Laeti de toujours penser à notre ventre quand on ne pense qu’à crapahuter), de quoi la faire chauffer (merci le Jet Boil de Côme), et de quoi recharger nos téléphone portable (pour ceux qui avaient le chargeur adéquat, c’est à dire pas moi, entre autres 🙂 ).
  • Tenter encore et encore de déneiger notre tank. Mais bon, ça commençait à peler sérieux. On a beau être têtu et courageux et en avoir vu d’autres (un fleuve en crue traversé au Népal, par exemple), à part pour le défi et pour le plaisir c’est pas un truc qui me tentait. On aurait eu des pelles à neige, ou un chalumeau, ou des trucs plus conséquents je dis pas, mais là, avec nos branchages et nos gamelles de camping…
  • Trouver de l’aide. Il commençait à faire franchement froid (comment ça je l’ai déjà dit?); Côme avait regardé sur la carte la distance qui nous séparait de la prochaine ville et y aller était un poil suicidaire : 10km à marcher dans un froid de canard pingouin cinglant.

Côme ne tenant jamais en place, et détestant rester là sans rien, faire voulait évidement aller chercher de l’aide. Sa femme lui a fermement dissuadé de le faire (sous peine de grève du sexe illimitée, mais surtout faut être fou pour se balader par un froid pareil).

On décrète que tant qu’on a la voiture et de l’essence, on n’est pas mort (selon l’équation énergie=vie), et on décide donc de dormir dans notre super nouvel hôtel 4 étoiles roues.

On trouve comment s’agencer pour dormir les uns pas trop sur les autres (enfin, vu qu’on était 2 couples et ma pomme, JE me suis agencé pour dormir pas trop sur les autres) et le concert de ronflements commence peu de temps après, Côme en tête.

Je maudis ma consistance de chat sous ecstasy (qui fait que je me réveil dès qu’une araignée éternue dans ma piaule), je me rappel ce que me disait Biscotte (« il s’endort super vite, c’est dingue ») et me dis qu’il faut que je sois bourrer pour que ça se passe comme ça, c’est qui n’est pas le cas ce soir. Je tente donc la technique de Valentine: me caler sur le rythme des ronflements.

Que nenni, tu parles Charles… Morphée ne me fait pas le plaisir d’une visite. Je connais bien d’autres techniques pour trouver le sommeil, mais aucune n’est applicable ici (pour les curieux: je ne dévoile pas mes secrets à moins de deux pintes dans le sang).

Et je reste deux heures le nez en l’air, à essayer de dormir pendant les rares instants de calme dans cette cacophonie. Je me demande comment font les femmes/copines de ronfleurs…

Et puis au moment où je sens que je pars dans les limbes (vous savez, ce moment où vos pensées partent en vrille et suivent leur propre vie) j’entends ‘tap tap tap’ sur la porte proche de moi.

Putain de bordel de zoubinette de merde. C’est quoi encore ce truc QUI ME TIRE DE MON SOMMEIL AU PIRE MOMENT. Dediou.

Tap tap tap.

Un vrai tap tap tap régulier, pas le genre de tap tap tap que fait une branche secouée par le vent. Et puis pas 2 tap, pas 4. 3. 3 tap. Deux fois de suite.

Genre on frappe à la porte. Genre faudrait que je flippe et aille voir. Oui mais non, je trouve je sais plus quelle explication plus ou moins rationnelle et satisfaisante et met ma tête sous mon pseudo oreiller (un pull, en l’occurrence)

TAP TAP TAP.

Ah mais c’est que ça insiste, en plus ! Ça voudrait pas me laisser dormir ! Ni même se satisfaire d’une explication rationnelle et satisfaisante ! Ça veut vraiment essayer de me faire flipper !

Pragmatique et plein de sang froid (même si je sens vaciller mon explication rationnelle et satisfaisante, il me reste les bons vieux piliers: « mais qu’est-ce qu’il peut nous arriver ? « , « On est dans un monde réel en 3D, y a pas de Troll, Banshee, coffre à pattes, Doppleganger et autres trucs pas glop », ce genre de choses) mais avec néanmoins un peu d’appréhension (oui, essayez donc de ne pas avoir de l’appréhension quand vous êtes quillé en pleine neige, à 10km du premier village, par un froid de ça… cinglant, et que vous entendez un tap tap tap insistant à la porte du 4×4 dans lequel vous essayez de trouver le sommeil) je me lève en ayant la très ferme envie de faire cesser ce bruit, d’où qu’il provienne et quitte à me foutre sur la gueule avec une créature sortie des trous noirs de l’enfer. C’est que j’ai envie de dormir, moi, et j’y étais presque arrivé !

Je jette machinalement un oeil par la fenêtre, histoire de voir de quoi il retourne. Et je vois une pointe noire. Sans avoir le temps de percuter quoi que ce soit (colère et gueule dans le cul obligent) j’ouvre la porte et je vois un tout petit bonhomme pas plus haut que disons l’envergure de mes deux mains misent bout à bout (environ 40cm). Je scotche bien 20 secondes, les yeux ébouriffés, le temps que mon cerveau imprime ce qu’il voit.

Il voit ceci: un petit être, donc, d’environ 40 cm de haut, avec un chapeau à pointe noire, une bestiole un peu poilue que je prends pour un yack en premier lieu, un bâton tout tordu, une gabardine en cuir sombre et usé, et des chaussures/chaussons en cuir également. Il a l’air un peu vieux, et me regarde à travers des lunettes toutes rondes, à la John Lennon. Son yack (ou est-ce un gnou?) farfouille la neige de son museau. Lui, il a pas l’air d’avoir compris que l’herbe est loin en dessous, surtout vue sa taille…

Bref, je percute ce que je vois et scotche donc 20 secondes de plus. Moquez-vous, mais j’aurais aimé vous y voir…

Le gars (faute d’une meilleurs définition, hein) me regarde placidement. Il a l’air d’attendre que je déscotche.

Courageusement je sors un « Mais… » pathétique.

Il penche légèrement la tête de côté, comme s’il était surpris que je parle enfin.

« Garion, enchanté. » me dit-il

« Comme dans ((La Belgariade, de David Eddings)) … » fais-je avec le quart de neurone pas scotché qu’il me reste.

« Oui. Mon nom lui plaisait apparemment. » fait-il d’un air presque blasé.

Mon quart de neurone bataille ferme pour réveiller les autres.

« Donc vous… »

« Existez vraiment, oui; et non je ne suis pas un rêve ou une illusion. Et vous en conclurez que ce n’est pas la premières fois que je me montre. » dit-il, un peu fier.

Ma petite tête passe en revu rapidement ce qu’elle voit. A ce moment, les petit bonhomme, le gnou et moi formons le coeur de l’univers. Je ne sais pas de quoi a conscience le petit être, mais pour moi seuls existent nos trois entités. Point. Je n’ai absolument pas conscience du reste; pas plus du froid que de l’étrangeté de la scène ou des ronflements.

Mais c’est pas pour ça que j’ai retrouvé l’usage de la parole…

« Mais vous… »

« Êtes un peu petit, un peu vieux, un peu étrange, genre hobbit, toussa? Moui, c’est ce qu’on dit généralement de moi la premières fois. M’est avis que vous êtes un peu dans le pétrin, là, je me trompe? »

Mon univers s’étend peu à peu. Je reprends conscience qu’on est coincé dans la neige et qu’on est pas prêt d’en sortir.

« Non, mais… »

« C’est ce que je me disais. Un coup de patte vous dirait certainement, non? »

Pourquoi patte et pas main? On dit patte, dans sa culture? Après tout, j’ai bien des potes qui disent patte aussi…

« Oui, ça oui, mais… »

« Vous ne finissez pas souvent vos phrases, dites-donc. Remarquez, j’y suis habitué. Je remarque souvent cet effet chez ceux que je vois pour la première fois. D’un autre côté, je connais quelqu’un qui je mettais jamais de majuscule au début de ses phrases. C’est moins gênant mais on avait toujours l’impression qu’il exprimait sa pensée en cours de route. Ça rendait sa conversation pas facile à suivre. Mais revenons à votre soucis… »

Son relativement long monologue a fini de me déscotché. Je retrouve l’usage de la parole, je percute ce que je vois.

« Ah! hé ho ! Je vais en placer une, à la fin ! Donc… Vous êtes qui ? vous venez d’où ? et pourquoi vous êtes là ?  »

« Ah, on dirait que vous vous énervez, là… Bon. D’accord. Je suis donc Garion, j’habite là bas, là, vous voyez les arbres, pas loin ? (il pointe avec son bâton tout tordu) Juste en dessous du très grand il y a une masse sombre. Hé bien c’est l’entrée de chez moi. Mais peut-être que votre question était plutôt « d’où vient ce gnome qui n’est pas humain » Hé bien j’habite ici depuis quelques années, disons quelques milliers. J’ai grandi ici. Quand à savoir pourquoi je suis là, hé bien j’ai entendu du bruit et j’ai attendu la nuit pour sortir. Parce que je n’aime pas la lumière du jour, en vérité. »

Je commence à douter sérieusement de ce que je suis en train de voir. Je prends quelques secondes pour tout bien comprendre, tout mettre en place. Je suis donc dans un 4×4, aux US, coincé dans la neige, avec un petit bonhomme qui dit habiter dans le coin. Et qui a un gnou (ça aime pas le chaud, ça, les gnous?). Qui lorgne sur les pneus. Et Côme et Titi et Bill et Bér’ qui ronflent et qui donc ne voient rien. Je tourne la tête vers eux pour m’assurer que je ne rêve pas, et non, je ne rêve pas: les deux couples sont bien affalés les uns sur les autres, dans un très émouvant concert de ronflements et de respiration.

Bien.

Je reviens à mon petit bonhomme, qui m’avait visiblement observé pendant tout ce temps, toujours de son air placide. Une idée idiote me vient.

« Je suppose que si je réveil les autres pour qu’ils vous vois, vous allez disparaître. »

« Oh non, non, du tout. C’est juste que… ils risquent de hurler, c’est tout. Surtout elle, là » Et il me montre Bér’.

Moui… Il a pas tort…

Je me reconcentre sur la situation.

« Vous sembliez avoir l’envie de nous aider, tout à l’heure. »

« Oui. Il se trouve que le bouc que … HEY!! » Et il tire violemment sur la corde. « Scrogneugneu! Il peut pas s’empêcher de manger les pneus des 4×4, je sais pas pourquoi ». Il examine le pneu. « Bon, y a rien. Mais ça a faillit » Le gnou, qui perd pas le nord, se remet à farfouiller la neige.

« Mon gnou, donc, que voici, pourrait vous sortir de là » Il me montre du pouce l’animal brouteur de flocons.

« ???? »

« Oui. Ne le sous-estimez pas, je vous prie. Il ne paraît pas, mais il a un sacré coup de patte. » dit-il en se dressant un peu sur ses pieds.

Ok ok. De patte, pas de main, percuté-je. Il veut me filer un coup de patte de gnou…

Je regarde le petit animal, qui me rend mon regard, en plus vide.

« Bon, c’est pas tout mais il va falloir que j’y aille, moi. Je vous règle votre soucis, ou pas? C’est qu’il y en a une qui va râler si je reste trop longtemps dehors. » Il se retourne vers l’endroit qu’il m’indiquait du bâton, tout à l’heure. Et, se détachant sur le fond sombre, j’aperçois une silhouette avec le même chapeau pointu…

D’un coup, je panique: ce petit bonhomme se propose de nous aider, de nous sortir du tas de neige, et à cause de mes pinaillements il va s’en aller et nous laisser en plan, juché sur butte de glace.

« Oui oui! Pardon, oui. Euh… vous comptez faire comment ? »

Il me regarde l’air de dire « Bouge pas gamin, laisse faire le pro » et s’en va dandinant vers l’avant de la voiture, son quadrupède attaché à une courte mais robuste corde. Je lève la tête en essayant d’apercevoir ce qu’il se passe devant le 4×4. Je ne vois que la partie supérieur de son corps.

Je le vois qui se penche, je devine qu’il détache son animal. Je devine ensuite, aux mouvements des ses bras, qu’il cherche quelque chose dans sa poche. Puis il relève la tête, me fait un sourire et me fait signe, avec ses mains, de me baisser. J’obtempère, non sans m’accrocher aux poignets du plafond: s’il projette de sortir, avec une bestiole « qui a un sacré coup de patte », un véhicule de la neige, y a des chances que ça secoue un peu…

Bien m’en a pris: je n’ai pas sitôt accroché que j’ai été projeté, avec le recule, vers l’avant de la voiture. La violence du choc, et la surprise, m’ont fait lâcher la poignet, et ma tête s’est écrasée sur l’appui-tête du conducteur. Côme s’est à peine réveillé, Titi a ouvert les yeux en grand en demande ce qu’il se passe, Bér’ a gromelé, et Bill n’a pas remué une paupière.

« C’est rien », dis-je en espérant que les deux réveillées ne pose pas plus de question.

Elles regardent autour d’elle, la tête pleine de sommeil, et se rendorment. Leur cerveau a dû mêler les sensations avec leurs rêves. Je me refocalise sur mon petit bonhomme, vais vers la porte qui du coup s’est ouverte en grand et je le vois qui s’éloigne.

Je sors ma tête et lui dis:

« Merci ! Et… euh… comment avez-vous fait ? et comment s’appelle votre animal ?  » Je pensais déjà à comment j’allais raconter cette histoire, et il me fallait le nom du bovidé.

« Mon bouc s’appelle Stallman. Je ne sais plus trop pourquoi je l’ai appelé comme ça. J’ai découvert par hasard qu’il raffolait des pingouins, ça lui fait un effet euh… étrange, et dans ces cas il ne vaut mieux pas être derrière lui. Il m’a cassé un bon nombre de portes, comme ça. Pour vous sortir de votre tas de neige hé bien je lui ai montré une figurine de pingouin qu’un Finlandais m’a donné. »

« Mais… » tenté-je d’articuler. Dans ma tête se bouscule les idées suivantes:

  • Y un petit gnome qui s’en va avec un gnou attaché à une corde. Je ne sais pas d’où il vient, ni pourquoi il est là, ni même si je suis en train de rêver,
  • Si je ne suis pas en train de rêver, il va y avoir des traces de sabot dans le pare-choc avant. Et comment ça se justifie, ça?
  • C’est quoi ce gnou qui vis aux US et trip sur les pingouins?
  • C’est quoi ce bonhomme tout gnome qui vis depuis des milliers d’années et qui vient nous aider NOUS?
  • Et si je rêve, pourquoi ça a l’air si réel?

Le temps de cogiter tout ça et Garion s’éloigne, devient hors de portée de voix. Je scotche quelques secondes, le temps que mon cerveau retrouve comment faire bouger mes bras, et ferme la porte.

J’essaie de m’endormir mais je repense à cette histoire. Elle n’a pas durée plus de 10 minutes. Je ne suis même pas sûr que ça ait été réel… J’en viens à douter de ma mémoire. Je réfléchi à toutes ces choses qui arrivent pas souvent et pas à tout le monde. Je me dit que dans ma vie j’aurais eu tout de même de la chance, entre autres choses. Je pense à ce qu’on va faire demain, et comme s’il était attiré par se brouhaha neuronal, Morphée daigne enfin me rendre visite.

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